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l'Espoir d'Adjouffou
11 mars 2005

Séjour Yvon P. février 2005

AVERTISSEMENT

La fondation Lotti Latrous a été créée le 28 octobre 2004

"Vu la situation politique actuelle en Côte d'Ivoire, la fondation tient à vous assurer que tous vos dons se trouvent en sécurité sur un compte de l'UBS en Suisse.
En conséquence, il n'existe aucun danger que vos dons soient confisqués par l'Etat ivoirien.
Quoiqu'il arrive en Côte d'Ivoire, vos dons seront mis à la disposition de la fondation Lotti Latrous, tout conformément au statut qui définit l'éventuel transfert des activités vers un autre pays africain.
Le statut définit le but comme suit:
"Les dons seront investis dans des projets contre le sida en Afrique noire"
Les dons suisses:

UBS Genève, O.N.G. Espoir Abidjan,
0240 - 428 654. 00E
ccp: 10 - 315 – 8

Les dons de l'étranger:

UBS AG Genf, Schweiz
Account Number 428 654.00E
Clearing Number 0240
IBAN: CH44 0024 0240 4286 5400 E
SWIFT (BIC) UBSWCHZH80A

Les projets de LOTTI LATROUS sont financés par les dons. Chaque somme, aussi petite soit-elle, contribue à l'aider. Vous pouvez être sûrs qu'avec votre contribution, aucun centime ne va se disperser dans des voies suspectes de l'administration ou de la politique. Votre don sera directement et exclusivement dirigé vers les plus pauvres des pauvres. LOTTI LATROUS, elle-même est soutenue par son mari qui, lui aussi, couvre les frais d'essence et les frais de réparation du véhicule tout terrain. Un salaire est seulement attribué à ceux qui n'ont rien. Il va de soi qu'aucun blanc ne figure parmi eux. Les blancs qui veulent aider, sous quelque forme que ce soit, sont les bienvenus, mais strictement à titre bénévole. Si vous avez des questions concernant les dons,
Si vous voulez commander un bulletin de versement, veuillez noter l'adresse suivante:
info@lottilatrous.ch

RAPPORT DE SEJOUR

 Du 3/02 au 28/02/2005

  YVON PERTON

 

Association: "LES AMIS DE L'ESPOIR D'ADJOUFFOU" - 60 rue du Grand Val – 94370 SUCY EN BRIE

   Déclarée à la Préfecture du Val de Marne le:10/12/2003 No de parution: 20040002 No d'annonce: 2308
               Code Banque: 10278       Code Guichet : 06169      N° de Cpte: 00020092241   Clé RIB 18
    Objet : soutien à l'O.N.G. que dirige LOTTI LATROUS en Côte d'Ivoire: «L'ESPOIR D'ADJOUFFOU».
"Mél.ypconseil@yahoo.fr" "Mél.aveclotti@yahoo.fr"

 

 


3/02, 24h, Arrivé (à l'heure, merci Royal Air Maroc !) Lotti est à l'aéroport, comme convenu, elle s'est faite accompagnée de De Gaule , garde de corps improbable mais tout sourire, la douane est passée comme une lettre à la poste, il est 1 heure du matin, tout le monde est fatigué, alors…
…Espoir1, 1h et des poussières… Ouattara  a du mal à se réveiller pour venir nous ouvrir le portail, ce qui ne le décourage pas de m'administrer les grandes salutations d'usage ; je montre ma grande forme en montant moi-même mes bagages et je m'affale à la dernière marche de cette sacrée échelle de meunier qui sert d'escaliers… Lotti est toute fière de m'ouvrir la porte de "ma" chambre qu'elle a manifestement préparée avec soins…Elle m'offre de partager une "Flag " tandis qu'on fait le tour des nouvelles,  c'est le chantier de l'orphelinat qui s'enlise, notre correspondant à la mairie est en vacances depuis début janvier, le vendeur de charbon a profité de l'absence de Lotti pour construire une "boutique" en dur et l'on ne peu plus passer pour accéder au terrain, pas même une brouette… c'est tel employé qui a joué les "Iznogood" par rapport à ses collègues pendant l'absence de Lotti, c'est cette petite malade qui devrait être prise en charge par "Sentinelles" qui n'ont pas prévu un budget suffisant "ils n'y comprennent rien !" Je lui montre l'appareil photo que l'association a acquis pour le Centre et en deux mots lui explique que cela permettra d'envoyer des photos que réclament les marraines et parrains "super" dit-elle puis, très vite: "mais j'y connais rien là dedans et je ne veux pas savoir"…3h, il est temps de se quitter, on verra tout ça demain…

4 au matin, réveil difficile, Lotti m'a glissé quelques billets en CFA sous la porte avec un mot amusant d'encouragement; plus d'eau sous la douche, toilette de chat et tête de merlan pas frai…
Je vais à la cabine  pour rassurer Béa, "oui, je suis arrivé sans problème, non les tensions ne sont pas sensibles, oui je ferai attention à moi", on se donne RV pour samedi au soir, on conviendra alors des moments où elle peut m'appeler ; surprise, le coût des communications a baissé, pour trois minutes j'en ai pour 375F (à peine 60 centimes d'euro!).

Dès 9h je me mets en chasse de notre correspondant à la mairie pour le terrain de l'orphelinat, son portable ne répond pas, après plusieurs essais je tente un n° fixe qui doit correspondre au standard de son service, on me confirme qu'il est toujours en vacances, qu'on ne sait pas quand il reviendra…

Venue aux nouvelles Lotti ne veut pas en rester là, elle rappelle la mairie, s'annonce, demande le secrétaire, "je dois absolument le voir, c'est urgent, il arrive vers 10h? dites lui qu'il me rappelle, sinon je suis à 10h30 dans son bureau!"

10h30, Lotti passe me prendre, on a RV chez le secrétaire…

Arrivés sur place on n'attend pas un quart d'heure, on nous introduit, trois ou quatre collaborateurs sont déjà installés dans le bureau du secrétaire qui, costard 3 pièces très "classe", accueille Lotti en lui faisant remarquer "qu'elle possède la ténacité du Christ pour s'accrocher ainsi malgré les difficultés," il y a beaucoup d'admiration dans son regard et beaucoup de hargne contre ces (et ses) maudits frères noirs qui ne veulent pas connaître l'intérêt général et se moquent totalement des lois régissant le domaine publique…


Le tour de la situation est très vite fait, deux des collaborateurs du secrétaire nous accompagnent sur le terrain où notre arrivée a manifestement été signalée, outre les extensions connues on découvre un nouveau chantier: des maçons sont en train de préparer deux longrines de fondation carrément implantées sur notre terrain, un attroupement spontané (?) se fait qui manifeste violemment contre notre installation "Oui, ils vont faire venir des malades qui vont nous contaminer avec leurs cacas…" - "En plus ils ne guérissent pas, ils ramassent juste les cadavres…" Les deux responsables de mairie font face et préviennent "On vous donne jusqu'à lundi pour déguerpir, lundi on vient et on casse tout ce qui est construit sans autorisation…" Cris et menaces grondent, on quitte les lieus en espérant que les services de la mairie sauront ramener tout ce beau monde à la raison… ce ne sera pas facile !

Retour au Centre1, le vendredi est jour de prières pour beaucoup, malades comme employés, l'après-midi est assez calme et j'en profite pour faire une sieste, pour le repas on verra ça ce soir.

On finit la soirée au marché de nuit devant un poulet grillé-atiéké  et une bonne Flag bien fraîche… au retour il y a de l'eau! Une bonne douche et hop! Au dodo.

Samedi 5, je me lève assez tôt  et rejoins Lotti qui petit déjeune déjà (6h30) on se salue à peine qu'elle est interpellée "Josiane  est en travail, elle est au dispensaire, chez les coréens…" Lotti corrige, "ce ne sont pas des coréens, mais des Iraniens ! il faut l'envoyer à  l'hôpital de Port-Bouët! peut-elle s'asseoir? allez, je l'emmène" et la voilà partie, abandonnant son petit déj. happée par son quotidien…

Elle avait tout juste eu le temps de m'expliquer son inquiétude à propos du dernier inventaire en pharmacie fait le 2 et faisant apparaître de gros écarts entre les stocks théoriques et les stocks en place… près de 150 000F CFA manquants! Elle souhaite que nous fassions un inventaire ce matin avec "Iznogood" pour vérifier comment cela évoluait… Je doute tellement que David se soit trompé à ce point que je reprends les relevés de stocks hebdomadaires, très vite je me rends compte que les sorties du lundi 31/01 n'ont pas été décomptées… Cela explique totalement les écarts (et la totale innocence de David ); je vais en informer David qui, les larmes aux yeux m'explique "qu'il avait tellement honte qu'il aurait voulu rembourser les écarts s'il en avait eu les moyens!"

…Dimanche 6, notre objectif du jour est de rencontrer sœur Hélène  qui semble avoir trouvé une bonne solution pour se connecter à Internet;  nous avons échangé des mails à ce sujet et nous sommes convenus de nous voir à mon arrivée ici pour voir comment Lotti pourrait le faire, ce que l'Association "Les Amis de l'Espoir d'Adjouffou" financera volontiers. Mais elle restera injoignable tout ce dimanche…Nous sommes passés au cyber public ce matin où j'ai acquis, au nom de l'Association, deux mémoires USB dont l'une servira de navette entre  Adjouffou et Sucy, l'autre en service ici servira à transférer les photos que les marraines et parrains attendent de leurs filleules…16h30, De Gaule débarque  nonchalamment, toujours aussi digne, un grand sourire dans le visage, j'en profite pour m'éclipser de ma chambre/bureau et l'invite à venir partager un pot dans le maquis  d'à côté. Il me dit qu'après le départ de Lotti il doit se rendre à son village près de Bondoukou . Pensant que Bondoukou est plus au Nord, je lui demande si le trajet n'est pas trop compliqué en passant de la zone Sud (contrôlé par les FANCI, troupes pro gouvernementales) au Nord (contrôlée par les "Forces Nouvelles"). "Non, nous a Bondoukou on a dit aux FANCI on ne veut pas de vous ici et on a dit la même chose aux Forces Nouvelles, mais en fait, ils sont tous copains, ils se retrouvent à Bondoukou pour boire un coup ou jouer au foot ensemble…l'embêtant c'est les barrages sur la route, d'ici à Bondoukou il y en a 17 de barrage! ça fait perdre du temps et ça coûte! Les policiers et gendarmes de ces barrages on les appelle les nouveaux riches, ils roulent tous en grosses Mercédes ou grosses Peugeot… ils n'ont pas envie que les choses changent!" …Un quart d'heure plus tard il interpelle une mama qui passe et l'invite à s'asseoir, ce qu'elle fait après m'avoir salué, un grand sourire illuminant son large visage, son sourire s'accentue encore après qu'il lui ait expliqué, dans leur dialecte, qui j'étais; nouvelles salutations, nouvelles courbettes; "c'est ma maman" me dit De Gaule, "elle gère toutes mes affaires comme elle le fait pour tous les originaires de Bondoukou qui habitent le quartier" puis il ajoute "elle a une fille enceinte qui est un peu malade, elle a un zona" (et, de la main, il me fait un large un large geste sur son abdomen) sachant que 90 fois sur 100 un tel zona est le symptôme d'une infection du VIH je lui dis "il faut la faire venir au centre!" "C'est pas la peine" répond-il "son mari travaille à la SOTRA , son assurance rembourse tout!" j'insiste car je sais qu'en ville le corps médical n'aborde jamais le sujet en face, on dira toujours au malade qu'il a un coup de palu ou une poussée de fièvre ou une simple diarrhée, à une maman venant d'accoucher il n'est pas exceptionnel de lui recommander "ne nourris pas ton enfant au sein car ton sang est mauvais"! Comment imaginer que la pandémie va se résorber, comment s'étonner que, chez Lotti comme au CHU de Treichville, 36% des dépistés sont séropositifs!  

Le temps est lourd et couvert, des éclairs de chaleur zèbrent le ciel, une sueur poisseuse nous colle la chemise à la peau, et les pantalons…puis une brise venant de l'océan se lève en quelques minutes une fraîcheur inattendue fait place à la moiteur. Nous en profitons pour aller jusqu'au marché de nuit, re poulet-atiéké, re coupure de courant puis, très vite, re chaleur moite.

Lundi 7 – j'ai demandé à Lotti de taper ma porte à 6h30, (je n'ai ni montre ni réveil) car nous avons programmé de faire un nouvel inventaire pharmacie à 7h00, pour rassurer tout le monde. Tout est en ordre, pas d'écarts significatifs.

A 10h00 une délégation de l'Ambassade Suisse doit visiter les lieux et entériner ou non le financement d'un nouveau laboratoire (voir étude en annexe 1). Les deux délégués sont conquis par la propreté très "suisse" des deux centres et l'activité quasi villageoise qui anime le centre d'Eux, le financement semble OK, il suffit de monter un dossier, Lotti s'empresse de m'en donner l'honneur… En partant les délégués ont laissé une donation que Lotti allouera aussitôt au personnel. En les remerciant (les employés) de la peine qu'ils se donnent.

13h00, depuis mon arrivée (elle s'était renseignée auprès de Lotti) Christine  veut "m'inviter" à manger, j'en ai repoussé l'échéance autant que possible car cela s'inscrit mal dans notre quotidien, finalement, relancé hier, j'ai crains de l'offenser et j'ai accepté pour 13h00 aujourd'hui, précise elle arrive à l'heure et nous nous installons dans le maquis d'à côté, elle a préparé un repas pour 5 et cela a du lui coûter plus qu'elle ne dépense en une semaine pour elle-même, on discute un peu, de ce qu'elle fait, de ce qu'elle pourrait faire si je l'aide un peu, elle me dit qu'elle y a déjà un peu pensé mais qu'elle réservait sa réponse, puis, un peu plus tard: "Ce que j'aimerai beaucoup c'est être la nounou de Salomé ;" Boum! Je ne peux que lui dire que ce sera très difficile, qu'on ne donne pas un visa comme ça, que Nathalie n'a qu'un petit deux pièces… mais rien n'y fait elle en a rêvé, son rêve ne peut s'arrêter là! Avant de me quitter elle ajoute "Il faut que je vous invite à nouveau!" me voyant surpris elle s'exclame, en riant: "Hè, Monsieur, inviter quelqu'un une fois seulement c'est le blaguer  dè  , une fois seulement!" je la laisse filer en répondant à son sourire et lui glisse un billet "pour ta fille", elle s'en va contente.

Avant son départ Lotti souhaite que les voitures soient mises en entretien, l'ambulance  a 6000Km et elle devait l'emmener à l'entretien à 5000! Son vieux 4x4 Pajero qui dépasse allègrement les 300 000Km mérite des soins plus approfondis, nous laissons donc l'ambulance jusqu'au lendemain et partons avec sa voiture chercher du poisson, toute les deux semaines un ami libanais lui donne 2 cartons de 25Kg de poisson congelé, il fait partie d'une chaîne d'aide alimentaire qui s'est organisée pour venir en aide à Lotti, nous recueillons, par la même occasion, plein de jouets et d'habits d'enfants et que sais-je encore que l'on entasse derrière son 4x4. Nous voilà repartis, nous devons nous arrêter chez sœur Hélène qu'elle a finalement pu joindre ce matin et que l'on peut rencontrer cet après midi.

"Tu sais pas où elle était, hier?" me demande lotti. …"A la plage! Toute la journée!" elle s'esclaffe en le disant, imaginant sœur Hélène délaissant son cloître pour s' acoquiner à la plage! En fait sœur Hélène est un petit bout de femme de 30/35 ans, brésilienne, toujours habillée en "laïque", responsable des cours que donne sa congrégation: enseignement général et professionnel (couture, pâtisserie et informatique). Elle passe très souvent à Espoir d'Eux pour animer des jeux avec les enfants. Nous la retrouvons dans son cloître, en fait un parc superbe et en superficie et en aménagement, cela doit faire 2ha d'un seul tenant, entouré d'un mur d'enceinte haut de 3m et dessiné de pelouses, d'allées en gravier, de massifs de fleurs et d'arbres plantés depuis peu et, au milieu de tout ça, une dizaine de bâtiments d'un seul niveau, proprets et  tous entourés d'auvents plein d'ombre…le quartier environnant, populeux et bruyant semble bien loin.

Nous faisons vite le tour des possibilités qu'elle préconise pour installer Internet à Adjouffou mais bien vite on réalise qu'aux heures où nous pourrons l'employer nous n'avons généralement pas de courant, pas assez en tout cas pour faire tourner l'ordinateur sans risquer de le voir rendre l'âme dans les 8 jours.

Bon, notre cyber espace habituel n'est pas près de se voir privé de notre clientèle!

Mardi 8, nous passons dans la rue desservant le terrain de notre futur orphelinat, pour voir, un coin de la boutique du charbonnier a bien été partiellement démoli, mais nous n'osons pas nous arrêter pour voir l'éventuelle étendue des destructions faites par les services de la mairie, nous préférons leur passer un coup de fil avant de nous risquer sur place, trop gens "délogés" nous agresseraient certainement…

Nous repassons devant Espoir d'Eux, je vois une femme (blanche) suivie de près par deux types (blancs aussi) à l'allure bizarre, "Christiane" crie Lotti depuis la vitre qu'elle vient de baisser, la femme se retourne un peu surprise puis son visage s'anime de joie et elles se jettent dans les bras l'une de l'autre, ensuite elle me tend la main en me saluant de mon nom, "vous vous connaissez?" intervient Lotti, "non, mais ça ne pouvait être que lui!" lui dit Christiane, épouse d'un diplomate européen, grande fan (et grande amie) de Lotti, quelques mots encore et elles se donnent rendez-vous à 12h30 pour prendre un pot ensemble. Pendant deux heures, comme à chaque fois qu'elle passe, elle va masser les mourants, les réconforter de sa présence, leur apporter cette "relation" à l'autre dont ils sont habituellement privés, abandonnés à leur sort par leurs proches qui redoutent d'approcher "la maladie" comme on l'appelle ici.

13h00, de guerre lasse nous nous sommes installés au maquis, Lotti et moi, elle devant un coca et moi devant une incontournable Flag, Christiane nous rejoint assez vite, encadré par ses gardes du corps auxquels elle offre de prendre une consommation, ils vont s'asseoir au fond du maquis, avec leurs sodas, l'œil aux aguets tandis que Christiane nous dit son "ras le bol" de leur présence dans une grimace excédée, en catimini elle précise qu'elle n'a pu faire autrement  mais qu'elle s'en débarrassera la fois prochaine…Elle-même prend une bière et nous discuterons près de trois quart d'heure, des centres, des malades, de certains d'entre eux en particulier, de l'orphelinat et des peurs qu'ont les petits devant les effusions criardes des familles enfin présentes lors du décès d'un malade…

18h30, l'artisan ivoirien dont Lotti connaît un magasin qu'il a construit passe nous voir. Lotti veut construire une boutique pour les femmes sous traitement et sans revenu. Sous la mauvaise lumière des rares lampadaires du coin nous prenons les mesures de l'emprise au sol. Très vite, devant nos approximations, on s'accorde une journée de plus pour que j'établisse un croquis de ce que nous désirons.

Mercredi 9 - Nuit difficile, 1h30 plusieurs baisses de tension ont finalement eu raison du climatiseur impossible de dormir, ni de me  "rafraîchir" en allant dehors, il y fait lourd, sans un brin d'air… Je prends l'option d'une douche, à minuit passé la pression est en général assez forte pour alimenter l'étage… ça marche mais je me sens plus réveillé que jamais! La dernière journée avec Lotti sera difficile. L'ancien docteur du Centre, G. Gnodé, circule ostensiblement dans le quartier pour faire savoir, à tous ceux qui le croisent, qu'il viendra vendredi avec une brigade sanitaire du ministère de la santé pour procéder à l'inspection des deux Centres. Cela plonge Lotti dans l'inquiétude, vendredi, le lendemain de son départ pour l'Europe !

Jeudi 10 – Départ de Lotti, 7h30 à l'aéroport, je la dépose avec l'ambulance où plusieurs malades ont pris place, pour la consultation trimestrielle préalable au renouvellement de leur traitement ARV. Cela se passe au CIRBA (Centre Intégré de Recherche Bioclinique d'Abidjan) dont le Responsable, le Dr Henri CHENAL, est également le président de l'ONG "Espoir", la presse locale évoque ainsi l'activité du CIRBA :
Sida pédiatrique : 837 enfants suivis, 360 gratuitement sous antirétroviraux - Fraternité Matin - Côte d'Ivoire - 19/11/2003
Ils sont 547 dans le service de pédiatrie du CHU de Yopougon, centre national accrédité de prise en charge des enfants infectés par le vih, dont 300 sont gratuitement sous antirétroviraux grâce à la subvention de l'Etat.
Environ 170 au Centre intégré de recherche bioclinique d'Abidjan (CIRBA) ou Centre de la Fondation Luc Montagnier et de l'UNESCO avec 60 enfants sous traitement antirétroviraux par la subvention gouvernementale.  Ils sont 230 à être pris en charge totalement et à titre gracieux pour toutes infections opportunistes par le Programme Enfant de l'Agence nationale de recherche sur le sida de France(ANRS).
 
De retour vers 12h30, la cour d'Espoir1 est à ce point encombrée par les travaux de rénovation (financés par ORANGE-télécom) que l'on suspend les consultations (aussi bien de médecine générale que celles de l'échographie et du labo (dépistage), les locaux sont pratiquement inaccessibles. Cette "vacance" fait encore plus apparaître l'absence de Lotti, je me réfugie dans son agenda pour enregistrer les tâches qu'elle a prévues d'ici son retour, en y ajoutant les imprévus (qui représentent 80% des cas à traiter!) ce n'est pas l'ennui qui me guette!

11/02 6h30, Pas de silhouette en blouse blanche au kiosque, Lotti est bien partie!
Je sais que je ne vais plus pouvoir tronçonner mon livre de bord en journées précises, cela dépendra du temps disponible, de la stabilité du courant électrique qui conditionnera aussi bien des notes prises le soir que quelques confidences à confier à un ordinateur trop sensible aux sautes de tension… Ce matin je n'ai plus très envie de me rendre au kiosque prendre un café,  je me rabats sur Espoir d'Eux, non pour le café mais pour faire comprendre à tous que la vie des Centres continue et qu'un œil "critique" (et bienveillant…) veille au grain, quelques "blagues" aux uns et aux autres les rassurent quant à ma sévérité mais une ou deux remarques sur les poubelles mal nettoyées ou les malades non encore servis de leur petits déj. les tient en alerte, juste ce qu'il faut.

Et ces malades! ils ont un tel manque de contact extérieur qu'ils s'efforcent à sourire, masquant leurs douleurs et leurs angoisses dès qu'on leur accorde un peu d'attention, une main que je serre et que je garde entre les deux miennes le temps de demander si la nuit a été bonne, s'ils n'ont pas eu trop chaud, s'ils mangent bien, s'ils ne souffrent pas trop… Ou la main que l'on passe sur leur épaule ou sur leur joue et leur front pour s'assurer qu'ils "ne chauffent pas" .

Au fil des jours et des visites chacun d'Eux va  se distinguer des autres ou c'est moi, sans doute, qui saurais mieux les différencier! Ou encore, et plus certainement, c'est l'alchimie des rencontres qui va nous apprendre, au fil du temps, à nous découvrir! (et à nous attacher)…

Maimouna, par exemple, qui n'était, à ma première visite, qu'une vieille malade bougonnante et se plaignant de douleurs lancinantes dans ses côtes décharnées (TBC)  est devenue plus souriante, amusée souvent par mes boutades sur sa résistance, sur la grande forme et le courage dont elle faisait (réellement!) preuve, juste avant mon départ on parlait de mariage en rigolant, mais cela l'amusait plus que tout que je me prête à ce jeu.
- Comment seras-tu dans trois mois, quand je reviendrai?
-    Est-ce que ça va t'aider à tenir?
- Cela me ferait bien plaisir!

Et Cécile que j'ai si peu remarquée jusque là, enceinte et maman d'un petit Franck qui souffre d'affection cardiaque, il aura fallu cette nuit où Ouattara et Arlette sont venus me chercher en me demandant d'emmener une maman à la maternité, elle venait de perdre les eaux, le temps d'enfiler mes vêtements, de sauter dans l'ambulance et d'arriver à Espoir d'Eux, et là, sous la lumière de la lune, j'aperçois Arlette traverser la cour en courant avec une cuvette d'eau… je vais voir où l'on en est et, par pudeur, je garde mes distances car j'ai entendu crier, la maman vient d'accoucher, au clair de lune… Dix minute plus tard elle monte dans l'ambulance par ses propres moyens tandis qu'Arlette en fait le tour et grimpe de l'autre côté avec une bassine plastique dans laquelle était emmailloté le bébé… En un quart d'heure nous sommes à la maternité de Gonzagueville où la maman va se libérer  de son placenta et se reposer un peu avec sa petite fille à laquelle elle n'a pas encore donné de nom. Je la revois le lendemain, au Centre d'Eux et j'en fais cette photo après le lui avoir demandé et lui avoir dis que je trouvais sa fille très belle. Et c'est vrai qu'elle est belle, on dirait qu'elle a plus d'une semaine tellement sa peau est lisse, son visage si peu fripé. Elle s'appellera "Grâce" me dit sa maman… Cette jeune maman "dépistée" séropositive en même temps que son premier enfant n'a toujours pas compris comment elle avait été contaminée, mais elle est là, certaine que tout sera fait pour elle et ses enfants, tout à la joie d'être à nouveau maman… quant à nous, nous attendrons deux à trois mois avant de dépister ce nouvel enfant…

Awa quant à elle ne décroche pas de son lit, elle a été "ramassée" par Lotti il y a plusieurs mois, alors que, fauchée par un taxi, elle gisait sur un trottoir à proximité du CHU de Treicheville , une jambe fracturée à plusieurs niveaux… on doit prochainement essayer de lui "réparer" ces fractures mal soudées, elle n'a plus complètement sa tête et s'exprime dans un charabia incompréhensible pour moi mais elle adore qu'on engage la conversation avec elle, alors! on n'a bien compris cependant qu'elle ne quitterait le centre pour rien au monde…

Et Victoria… qui n'a plus la force de se lever, qui esquisse un pâle sourire quand on se penche vers elle pour lui demander si elle a pu manger un peu, si elle a envie de quelque chose… et tous les autres, simplement moins mal qu'en dehors de ce Centre où ils sont entourés de soins, où ils mangent à leur faim (quand la nourriture veut bien passer car les œsophages sont souvent à vif) mais qui ne se font plus beaucoup d'illusions…        
Heureusement, il y a les enfants, heureusement  pour l'ambiance si vivante qu'ils instaurent par leurs jeux, leurs cris, leurs rires et même leurs pleurs, à chacune de mes visites ils se ruent vers moi en criant "Tonton! Tonton!…" et c'est à celui qui viendra le plus vite se pendre à mes basques, fouiller mes poches au cas où j'aurais eu la bonne idée d'y avoir placé des bonbons et d'enserrer mes jambes dans leurs petits bras comme pour me garder pour eux tout seul.

 

Quel plaisir aussi de revoir ces hommes (peu, car ils admettent rarement de se faire dépister) et ces femmes auxquels on a pu expliquer assez tôt qu'ils étaient affectés par le virus du VIH et qui, sous traitement, ont généralement repris une activité qui les a rendus autonome. C'est notamment le cas de Fatoumata, cette jeune maman de 20 ans dont la fille, fréquemment contrôlée, est séronégative. C'est le cas aussi de Minata, qui ne passe nous voir que tout les trimestres pour qu'on lui finance la consultation et la prise de sang qui permettront d'ajuster son traitement anti-rétro-viral . Elle-même et ses trois enfants sont séropositifs et se portent très bien. Je profiterai de ce passage pour la prendre en photo et la transmettre à son parrain qui commençait à douter que sa protégée était toujours suivie par nous…

Mais les dizaines de malades gravement touchés que nous amènent des parents ou des voisins souvent pressés de s'en débarrasser nous montrent tous les jours combien il nous reste de travail à faire pour que le sida soit enfin pris pour ce qu'il est: une maladie qui peut être prise en charge, avec laquelle on peut vivre des années si on sait assez tôt de quoi l'on souffre. Ce n'est en aucun cas un maléfice lancé par l'esprit d'on ne sait quel ancêtre vengeur que l'on aurait négligé d'honorer ni l'expression de la vengeance de Dieu envers ceux qui l'ont bafoué. La démystification de cette maladie reste la plus grande urgence tant en direction des populations qu'envers les acteurs de la santé qui, trop souvent, (se) masquent la réalité et traitent les diarrhée à coup d'imodium et les poussée de fièvre à coup de quinine… Ces traitements utopistes sont l'une des causes principales de l'ampleur que prend la pandémie et de tous ces malades qui nous arrivent en phase finale. Plus que les campagnes de prévention c'est réellement une campagne de démystification qui s'impose, que tous comprennent que cette maladie n'est vraiment dangereuse que si on l'ignore.

En dehors des approches irrationnelles, trois éléments sont omniprésents dans le bidonville d'Adjouffou, (comme dans tous les autres bidonvilles, sous toutes les latitudes…) c'est la misère, l'ignorance et le manque de compassion.

La misère ici ne fait que croître, depuis le coup d'état de décembre 1999 les événements violents se sont succédés entraînant vers Adjouffou tout ceux qui n'ont plus les moyens de payer un logement dans les quartiers moins pauvres, des nouveaux chômeurs, des "réfugiés" des zones de guerre, des étrangers harcelés par "les corps habillés" comme on les appelle ici, c'est à dire les militaires, les gendarmes, les policiers et les miliciens de tous bords…

Ces populations n'ont que rarement les moyens de se nourrir correctement, beaucoup ne font qu'un maigre repas par jour… Même si les consultations données au Centre sont d'un prix modique (300F CFA soit environ 40 ctimes d'euros) et souvent gratuites, les malades redoutent de s'engager dans un processus d'ordonnances sans fin qui dépassera toujours leurs moyens, même si nous les aidons, même si souvent nous prenons tout en charge, leur ignorance (craintive) de la médecine "de blancs" les incitent à recourir à des médications "traditionnelles" rarement efficaces; c'est ainsi qu'une maman nous a amené sa fillette de 4 ans, complètement anémiée et déshydratée, le temps de lui préparer une perfusion, de cligner 2 ou 3 fois des yeux sous mes caresses que je voulais apaisantes, elle s'éteignait en crispant ses mâchoires… depuis 3 jours, nous dira sa maman, elle se vidait en diarrhées et en vomissements; une typhoïde, sans doute.

Le manque de compassion c'est, enfin, cet employé du centre auquel Lotti avait confié quelques responsabilités pendant son absence due aux événements anti-français de novembre dernier, alors que l'infirmière lui demandait l'ambulance pour conduire un gamin de 5 ans aux urgences du CHU de Treicheville, il avait refusé en disant que les parents "n'avaient qu'à" trouver un taxi pour emmener le petit… qui est mort avant que ce fichu taxi n'arrive au Centre…

 


Adjouffou/Sucy Février et Mars 2005

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l'Espoir d'Adjouffou
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